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         Au début je tentais de rationaliser la chose. Ce n’était qu’un rêve, j’étais un tout autre personnage à ce moment. Je tentais dès lors de revoir ma vie, ce que j’avais fait la veille, ma famille, mes animaux de compagnie. Je revoyais une peluche, une série télévisée, un bon gros steack au barbecue mais rien ne venait quant à mon nom. Puis je réalisais doucement que ce n’était plus si normal que ça. Jamais auparavant je n’avais eu à chercher mon nom, sans compter que relier la réalité au rêve me réveillait habituellement, mais la rien. Je me pinçais, je me giflais, sous les regards un peu alarmés de mes compagnes, ou tout du moins celui de Vaïlyne qui me faisait face mais j’entendais la dryade s’étrangler dans mon dos, ne sachant certainement pas quoi dire ou faire. Je commençais à paniquer, je me sentais coincé, prisonnier de mon propre rêve. Je continuais de fouiller dans ma mémoire lorsque je m’aperçus d’une autre chose plus atroce encore. Je me souvenais de certains de mes goûts et de choses sans intérêt mais rien de capital. Aucune famille, aucun ami, aucun travail, aucune vie. Je me souvenais avoir été élevé mais pas de mes parents. Je me souvenais avoir descendu des verres dans les bars mais pas des personnes qui m’accompagnaient. Comment pouvait-on s’amuser avec du monde sans pouvoir se souvenir d’être accompagné ? Même ces souvenirs étaient flous, comme s’ils n’avaient pas vraiment eu de consistance.

         « Qui je suis ? » hurlais-je soudainement. Mes guides sentirent que je commençais à partir en vrille. Je gesticulais frénétiquement dans l’embarcation, si bien que je manquais de nous faire chavirer. J’avais du mal à respirer, je me sentais mal, j’allais m’évanouir lorsque Jylénia posa une main sur mon front en fredonnant un petit air dans la langue qu’elle avait utilisée plus tôt. En quelques secondes, la peur commença à se dissiper lentement et mon esprit recouvra son calme, bien que submergé progressivement par une nouvelle émotion : la tristesse. Des larmes coulèrent le long de mes joues sans que je n’en comprenne la raison. Petit à petit, un sentiment de solitude m’envahit, se transformant au fil de ma compréhension en un malaise lié au vide qui m’envahissait. Qui étais-je ? Et surtout, est-ce que ma vie existait quelque part ? Etais-je humaine finalement ?

         « Ne vous inquiétez pas, mon seigneur, tout ceci est parfaitement normal. Vous venez de traverser les barrières séparant les mondes, il est normal que votre mémoire en pâtisse. Tout divin que vous êtes, de telles choses ont un coût sur votre esprit. Je suis persuadée que vos souvenirs reviendrons, en temps voulus. »

         Les paroles de Jylénia m’apaisèrent doucement. Donnant du crédit à ses mots, je rationalisais tant bien que mal ma situation. La chanson que continuait de chanter la dryade transportait mes dernières craintes et angoisses vers une partie isolée de mon cerveau, ne laissant plus que le calme, sans peur ni tristesse. D’un geste, je repoussa sa main de mon front. Je respirais profondément, façon feng shui, histoire de me remettre les idées en place. Chercher dans ma mémoire était inutile, autant faire avec pour l’instant. Si je ne pouvais pas me souvenir de ma vie, je n’avais qu’à attendre que celle-ci revienne d’elle-même. Après tout, j’étais toujours moi-même, ce qui signifiait que mes souvenirs étaient toujours la, quelque part. Je décidais alors de me donner un nouveau nom en attendant que le mien resurgisse.


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